Emirates Airline ne veut pas la mort des compagnies aériennes européennes, a assuré mercredi son président exécutif Tim Clark, répondant aux craintes suscitées par le boom des compagnies du Golfe.
La croissance rapide d'Emirates, d'Etihad à Abu Dhabi ou de Qatar Airways, provoque des tensions avec les grandes compagnies aériennes, qui craignent qu'elles détournent une partie du trafic de leurs "hubs".
Emirates, première compagnie aérienne du monde arabe, a plus que quadruplé son résultat net au premier semestre à la faveur d'un bond de son trafic, tant pour les passagers que pour le fret.
En France, la compagnie, qui assure actuellement deux Paris-Dubaï et un Nice-Dubaï quotidiens, souhaite obtenir des dessertes supplémentaires.
"Nous ne représentons une menace pour personne, nous n'allons pas tuer le secteur aérien européen", a déclaré Tim Clark lors d'un point de presse à Paris, mettant au contraire en avant l'effet démultiplicateur sur le secteur de sa croissance ainsi que la régularité de sa stratégie.
"Nous ne réduisons pas nos dessertes, nous ne quittons pas les aéroports (...), nous n'annulons pas nos commandes de Boeing et d'Airbus", a-t-il souligné.
Les compagnies aériennes implantées dans les pays où Airbus et Boeing produisent leurs appareils s'estiment pénalisés par le mécanisme des crédits à l'exportation qui réduit les coûts d'achat de concurrents comme Emirates - ce que cette dernière conteste.
CONFIANCE DANS ROLLS-ROYCE
Emirates, de loin le plus gros client d'A380 au monde, en a commandé 90 et est sur le point de prendre livraison de son 15e appareil, le suivant étant dû en septembre 2011. Son ambition à terme est d'en compter 120 dans sa flotte.
Tim Clark a dit ne pas constater de baisse des réservations des passagers utilisant le très gros porteur d'Airbus, après l'incident de moteur très médiatisé subi sur un vol de la compagnie australienne Qantas, forcé d'atterrir d'urgence début novembre.
Tous les A380 d'Emirates sont équipés de moteurs Engine Alliance construits par un consortium formé par General Electric et Pratt & Whitney, à la différence des A380 de Qantas, Singapore Airlines et Lufthansa dotés de moteurs Rolls-Royce.
"Il ne faut pas minimiser (cet incident). Il entraînera des modifications et des changements pour un grand nombre de moteurs et il y aura des difficultés, mais au final Rolls-Royce résoudra le problème", a souligné Tim Clark, estimant que cela ne devrait pas prendre plus d'un mois ou deux.
Le motoriste britannique équipe une partie de la flotte d'Emirates, qui totalise 151 appareils.
Emirates a actuellement un total de 202 avions en commande, dont 70 A350, le futur long courrier d'Airbus, qui anticipe désormais sa mise en service au cours du second semestre 2013 au lieu de la mi-2013, laissant supposer un premier retard pour le programme.
Tim Clark a dit qu'il ne serait pas surpris s'il prenait livraison de ses premiers A350 avec un an de retard sur le délai de livraison à partir de 2014.
Source : Reuters - 24 novembre 2010
Air France : Agacée par les exigences des Émiratis pour acheter le Rafale
Les Emirats Arabes Unis mettent dans la balance des autorisations de vols supplémentaire vers la France pour leurs compagnies aériennes, Emirates (Dubai) et surtout Etihad, le transporteur d'Abu Dhabi.
Choix cornélien
Paris doit donc désormais choisir entre deux de ses fleurons industriels : Dassault Aviation, qui n'a pas encore vendu le Rafale à l'export, et Air France, qui demande de ne pas accorder de droits supplémentaires à ces compagnies, accusées de profiter du soutien massif de leur États actionnaires pour venir piller ses marchés naturels. Grosses clientes d'Airbus, les compagnies du Golfe ont déjà, par le passé, laissé planer la menace d'annulations de commandes d'avions afin d'augmenter leur présence en France.
Les négociations sur le Rafale sont aujourd'hui arrêtées et leur reprise dépend de la réponse de la France à l'exigence émiratie. « Il y a un gel des discussions, nous n'avons pas de date pour la suite », explique-t-on à « La Tribune ». En dépit de ce gel, des contacts entre la France et les EAU sont maintenus grâce, par exemple, à un séminaire franco-émirati sur la guerre électronique. Pour autant, Abu Dhabi reste toujours sous la pression des États-Unis, qui font un important lobbying pour empêcher la vente du Rafale aux forces aériennes émiraties.
Côté français, le prochain départ, très inattendu, de l'homme clé du Rafale et des avions de combat chez Thales, Pierre-Yves Chaltiel, selon plusieurs sources concordantes, est un coup dur pour le camp français. Il confirme à nouveau le malaise en interne dans le groupe d'électronique présidé par Luc Vigneron. Ce départ a tendu un peu plus les relations entre Dassault et Thales.
Source : LaTribune.fr - Michel Cabirol et Fabrice Gliszczynsk - 15 novembre 2010
«Les compagnies du Golfe tuent notre industrie»
Jean-Cyril Spinetta, le président du conseil d’administration d’Air France-KLM tire sur Emirates et sur Ryanair.
Jean-Cyril Spinetta, 66 ans, est président du conseil d’administration d’Air France-KLM. Sans complaisance, il s’insurge contre ces concurrents - compagnies low-costs ou du Golfe - qui se développent grâce à des subventions ou des soutiens publics. Des avantages dont pâtissent les compagnies historiques.
LE FIGARO. - Pourquoi les compagnies du Golfe, comme Emirates ou Etihad, ne semblent-elles pas vouloir intégrer les alliances dans l’aérien ?
Jean-Cyril SPINETTA. - Elles disent tout simplement ne pas en avoir besoin ; c’est donc à elles qu’il faut poser la question. En réalité, ces compagnies trouvent la grande majorité de leurs clients non pas dans leurs pays respectifs, dont la population est modeste, mais sur les marchés européens, asiatiques ou africains. Dès lors, il est très difficile d’intégrer une alliance, car il y a un déséquilibre des avantages. Quand nous signons un accord avec la Chine ou l’Inde, nous facilitons l’accès des compagnies de ces pays au grand marché européen. En contrepartie, nous avons un accès amélioré au marché chinois ou indien. Il y a un équilibre, une réciprocité. Avec ces compagnies du Golfe, rien de tel : l’ouverture qu’elles réclament est exclusivement à leur avantage. Mais il y a plus grave. Ces compagnies sont gérées sans les contraintes économiques et financières de rentabilité qui s’imposent dans une économie ouverte à tous les acteurs économiques. L’exigence de profitabilité, qui est l’exigence première de tout acteur économique privé, est tout à fait secondaire pour ces compagnies. J’ai été, je crois, le premier en 2002, lors du Cannes Airlines Forum, à dénoncer cette situation. À l’époque, j’étais un peu seul. Depuis, toutes les compagnies aériennes du monde tirent la sonnette d’alarme. Pourquoi ? Parce qu’aucune autre grande activité économique mondiale n’est confrontée à ce type de situation. Imagine-t-on par exemple qu’un ou plusieurs constructeurs automobiles puissent dire «Mon propos n’est pas de gagner de l’argent mais des parts de marché» ? Si on les laissait faire sans réagir, ils tueraient l’industrie automobile mondiale. C’est ce que sont en train de faire ces compagnies du Golfe pour notre industrie.
Certains prétendent que ces compagnies aériennes sont très rentables.
Personne ne le sait précisément car aucune d’entre elles n’est cotée. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’elles bénéficient toutes d’un soutien sans faille de leurs États respectifs. Quand on cumule leurs flottes actuelles et leurs commandes d’ici à 2020, on arrive au chiffre de 800 avions long-courriers, soit le double des flottes long-courriers cumulées des groupes Lufthansa, British Airways et Air France-KLM, qui sont pourtant aujourd’hui les trois premiers transporteurs long-courriers au monde. Il y a là une démesure. Les Européens commencent à en prendre conscience, ces compagnies, en captant les trafics européens, importent chez elles de l’emploi et exportent chez nous du chômage.
Pourquoi les compagnies traditionnelles se sont-elles laissé grignoter des parts de marché importantes par les low-costs en Europe ?
Simplement parce que les acteurs économiques fonctionnent selon le modèle économique qui est le leur. Les grandes compagnies européennes, qui sont toujours les plus grands transporteurs internationaux du monde, ont comme cœur de métier l’optimisation des relations aériennes entre l’Europe et le reste du monde. Elles se sont concentrées avec succès sur leur modèle, qui est d’alimenter les vols long-courriers en organisant ses correspondances entre ces vols et les vols européens. C’est le modèle du hub. Mais cela handicape la capacité des avions moyen-courriers à voler plus de huit heures par jour. C’est l’élément essentiel de la moindre compétitivité des transporteurs traditionnels face aux low-costs.
Pourtant, Air France avait l’expérience d’Air Inter, qui était spécialiste des court-courriers ?
Cette compagnie, qui n’assurait que des vols domestiques, s’était focalisée sur l’optimisation du modèle court-courrier, afin d’être compétitive face au TGV ou à la voiture : rotation des avions, revenue management, densification des cabines, organisation des escales… Il est vrai que, dans la fusion, on a trop oublié cette façon de travailler qui était la meilleure sur un réseau court-courrier domestique. On a perdu cette culture et c’est dommage. Le nouveau projet d’Air France visant à créer des bases de province est une forme de retour à ce modèle.
Ryanair a-t-elle atteint son apogée ?
Lorsque le patron de Ryanair déclare : «Si je suis soumis aux mêmes charges que les autres, alors je m’en vais, je quitte Marseille», il reconnaît que son modèle économique ne fonctionne plus s’il doit se plier aux mêmes règles que ses compétiteurs d’Europe continentale. Il vient de faire la même chose à Francfort. Pourtant, le droit européen est clair : toute activité basée dans un pays doit respecter les droits sociaux de ce pays. Il est inacceptable que les règles européennes soient à ce point bafouées par Ryanair. Sans subventions et avec des charges sociales équivalentes, l’écart de coût entre les deux modèles sera nettement moins grand. Moi qui suis corse, je suis effaré par ce qui se passe à Figari : il manquerait 60.000 euros sur la subvention promise à Ryanair, alors elle décide de tout arrêter instantanément. Michael O’Leary fait ainsi la démonstration qu’il a besoin d’argent public pour soutenir son modèle.
Que sera le transport aérien dans dix ans ?
Le paysage aérien mondial a été bouleversé en dix ans avec l’émergence des low-costs en Europe, l’apparition des compagnies du Golfe et surtout la consolidation régionale de notre industrie. Il reste aujourd’hui trois grands groupes en Europe, le même nombre aux États-Unis. La grande question est de savoir si, dans les dix ans à venir, une consolidation mondiale, comme dans les services financiers ou dans l’industrie, va avoir lieu. On en voit déjà des prémices, par exemple avec KLM, qui a 25 % de Kenya Airways, ou avec Lufthansa, qui a pris position chez Jetblue aux États-Unis. Nous étions, il y a dix ans, des acteurs nationaux reliant nos pays respectifs au reste du monde ; nous sommes devenus des acteurs européens reliant l’Europe au reste du monde. Serons-nous demain des acteurs globaux présents sur tous les marchés mondiaux ? C’est pour moi la question majeure des dix ans qui viennent. C’est à cela que nous devons nous préparer.
Source : LeFigaro.fr - François Délétraz - 11 novembre 2010